lundi 19 avril 2010

Troupe sur tréteaux, farces par 7 et costumes à la bougie : 7 Farces et Comédies de Molière

Christian Schiaretti, directeur du TNP, met en scène des comédies moliéresques encore etintées de la jubilation du théâtre de tréteaux; Costumes du 17ème, visages fardés, les comédiens s'affrontent aux exigences du code de la farce : saut, bastonnades, mimiques, masques, portes qui claquent... L'occasion nous est donc offerte d evoir en un après-midi et uen soirée, dans un même mouvement, sept comédies montées avec intelligence et modernité, jouées à toute allure par des comédiens talentueux.

L’aventure commence avec trois courtes pièces de jeunesse de Molière : La Jalousie du Barbouillé, Le Médecin volant, L’Étourdi ou les contretemps.

La Jalousie du Barbouillé

Un jaloux condamne sa porte à sa femme trop volage ; celle-ci invente un stratagème pour faire sortir son mari et entrer elle-même dans la maison en le laissant dehors.
On reconnaît le personnage traditionnel du docteur stupide, bavard, vaniteux, qui ne peut parler que dans un charabia pédant, personnage qui réapparaît dans tout le théâtre de Molière…

La grossièreté du ton, les jeux de mots douteux, les plaisanteries grivoises portent encore la marque des circonstances dans lesquelles étaient jouées ces farces. Cependant, la pièce, peut-être trop courte, paraît un peu creuse, et les comédiens hors de leurs personnages.

« Je suis l’homme le plus malheureux. J’ai une femme. »

Le Médecin volant

Valère aime Lucile et en est aimé, mais Gorgibus, père de Lucile, entend la marier à Villebrequin. Lucile feint d’être malade, et Sabine, sa cousine, va trouver Valère pour lui demander un médecin complaisant, lequel donne pour remède à la malade de s’installer au grand air, dans un pavillon situé au bout du jardin de son père. Là, les deux amants pourront se retrouver. Le médecin est tout trouvé, c’est Sganarelle, valet de Valère. Tout irait pour le mieux si Gorgibus ne surprenait pas Sganarelle redevenu valet ; celui-ci, de crainte qu’il découvre la supercherie, se trouve contraint de feindre d’être le frère du médecin et d’être
brouillé avec lui. Gorgibus promet de réconcilier les deux frères. Suit un jeu de cache-cache du plus grand comique : Sganarelle se métamorphosant si rapidement que Gorgibus croit avoir devant lui deux personnages ; mais pour les réconcilier, il enferme le valet chez lui et va chercher le médecin. Sganarelle n’a qu’une ressource : sauter par la fenêtre, revêtir sa robe de médecin et revenir en scène. Gorgibus croit avoir enfermé les deux frères dans la maison, car il entend leur conversation. Aussi Gorgibus les prie-t-il de se montrer ensemble à la fenêtre. Enfin, la supercherie est découverte. Mais pendant ce temps, Valère avait rejoint Lucile, et Gorgibus n’a plus qu’a pardonner et à donner son consentement à leur mariage.

Cette farce révèle les jeux de personnages et les comiques de situation que Molière maîtrisait parfaitement. Les comédiens jouent avec brio et dynamisme, et le public rentre avec hilarité dans cette histoire rocambolesque.
On découvre que certains comédiens se détachent du lot…

L’Étourdi ou les contretemps

Lélie est amoureux de Célie, esclave de Trufaldin qui l’a achetée à des bohémiens. Pour l’obtenir, il faut la racheter à Trufaldin, ce qui est difficile. Mascarille, serviteur du jeune homme, type du valet fertile en stratagèmes, invente de multiples ruses pour trouver de l’argent et pour vaincre toutes les difficultés qui se présentent. Mascarille n’arrive jamais à ses fins, ses plans étant contrecarrés par l’étourderie de son jeune maître. Le serviteur se fâche, menace de tout abandonner, puis accepte de rester auprès de son maître, par amour pour lui, mais aussi pour ne pas se déclarer vaincu…

Le duo de comédien jouant Mascarille et Trufaldin porte cette farce avec justesse, modernité, rythme… L’esprit de tréteaux est conservé parfaitement, et l’on se rend compte que les textes de Molière peuvent être contemporains. L’écriture en vers est jouée naturellement et permet d’accentuer le rythme du jeu. On sent que les comédiens s’amusent et sont portés par l’esprit de troupe et par un public actif. Il ne manque que d’être sur la place du village, avec quelques bougies…

Le Dépit amoureux

Éraste et Lucile s’aiment, mais Valère révèle à Éraste le bonheur dont il jouit depuis qu’il a épousé en grand secret, dit-il, la belle Lucile ! S’ensuit l’inévitable dépit entre les amoureux Eraste et Lucile. La jeune fille ne comprend rien à ce quiproquo et se tourne du côté de Valère. On comprend que ce dernier, à la faveur de l’obscurité, a épousé non Lucile, mais une autre personne follement éprise du jeune homme.
Il s’agit d’une soeur de Lucile, élevée dans la maison paternelle sous des habits d’homme pour ne pas perdre un héritage. Son identité découverte, elle gardera l’époux qu’elle s’est procuré…

Cette comédie est certainement la plus noire et la moins bien jouée… Longue et peu cadencée, elle a difficilement emmené les spectateurs dans l’histoire d’amour qu’elle raconte. Les acteurs prennent peu de recul sur leurs personnages, parfois trop réalistes. L’intrigue paraît alambiquée, les codes de la farce flous, le public réagit donc rarement aux répliques cinglantes que Molière offre dans cette pièce.

« On ne meurt qu'une fois, et c'est pour si longtemps ! »

Les Précieuses ridicules

Deux jeunes seigneurs, La Grange et Du Croisy, recherchent en mariage la fille et la nièce du bourgeois Gorgibus. Une entrevue vient d’avoir lieu, mais elle n’a point satisfait les jeunes gens. Les demoiselles ont traité avec impertinence leurs prétendants qu’elles ne trouvent point assez à la mode. Ceux ci, fort irrités, se retirent ; et La Grange jure de se venger avec l’aide de son valet Mascarille…
On annonce aux deux Précieuses la visite du marquis de Mascarille, attiré, prétend-il, par leur renom de bel esprit. Mascarille se met aussitôt à leur débiter mille compliments aussi fades qu’alambiqués, que les petites bourgeoises prennent pour argent comptant. Il promet de les introduire dans cette société précieuse où elles brûlent d’être admises. La joie des Précieuses est à son comble quand on introduit un ami de Mascarille, le vicomte de Jodelet. Les jeunes filles n’y tiennent plus, tout heureuses de converser avec ces héros.
Ce n’est qu’un rêve, et le réveil est brutal. La Grange et Du Croisy se précipitent dans le salon au moment où on se préparait à danser et bâtonnent leurs laquais. Les malheureuses, rouges de honte de s’être laissé jouer par des valets, doivent encore supporter les reproches indignés de Gorgibus…

Cette comédie est certainement la plus efficace de la série. Les comédiens se l’approprient totalement et la mise en scène leur permet des libertés de jeu, de rebondissements par rapport aux réactions du public… La modernité des costumes, des maquillages, de la lumière et de la mise en espace fait écho aux clowns que l’on connaît aujourd’hui. Cette pièce très connue de Molière est ici redécouverte par le public, qui devient presque celui que l’auteur connaissait : il réagit, applaudit, rit fort, commente et se lève pour féliciter les talentueux comédiens.

Sganarelle ou le Cocu imaginaire

Gorgibus entend marier sa fille Célie – d’abord fiancée à Lélie – à Valère, fils de Villebrequin. Célie se désole et, dans son trouble, laisse tomber à terre le portrait de Lélie qu’elle regardait. Survient Sganarelle qui aide à transporter la jeune fille évanouie dans sa chambre. Mais la femme de Sganarelle a vu la scène de sa fenêtre ; elle n’a aucun doute, son mari la trompe. Sortant dans la rue, elle y ramasse le portrait de Lélie et Sganarelle la trouve le contemplant : aucun doute, elle a un galant.
Entre Lélie, qui découvre son propre portrait dans les mains de Sganarelle ; il l’aborde, mais Sganarelle, qui croit voir en lui l’amant de sa femme, lui en fait d’amers reproches. Lélie, atterré, croit que Célie s’est mariée et que Sganarelle est son époux. Il est prêt à tomber en faiblesse quand passe la femme de Sganarelle, qui le prie d’entrer chez elle pour s’y remettre. Sganarelle a vu la scène qui confirme ses soupçons. Célie survient et ils se lamentent tous deux sur leurs mésaventures. Sganarelle surgit au milieu d’un entretien entre Célie et Lélie, armé de pied en cap. Il menace Lélie de son épée, mais dès que celui-ci se retourne il prend peur. Fort heureusement, la suivante, témoin de toutes ces fables, rétablit enfin les choses telles qu’elles sont.

Le public est ici tout acquis à cette pièce, elle est celle qui fait le plus écho aux relations amoureuses de nos jours : cocufiage, malentendus et jalousie. C’est cependant la moins originale dans la mise en scène, les allers et venues des personnages sont trop nombreuses et rappellent trop le vaudeville.

L’École des maris

Deux frères, Ariste et Sganarelle, tuteurs de deux très jeunes soeurs qu’ils doivent épouser malgré la différence d’âge, agissent au rebours l’un de l’autre à l’égard de leur pupille respective. Tandis qu’Ariste laisse Léonor jouir d’une entière liberté, par quoi il s’en fait aimer, Sganarelle, rétrograde en tout et se fait haïr d’Isabelle qu’il tient recluse.
C’est Isabelle elle-même qui forge les ruses, et le comique de l’intrigue tient au fait que c’est Sganarelle qui en est l’agent inconscient : en lui demandant d’expliquer à Valère qu’elle ne veut plus qu’il l’aime, elle fait savoir à celui-ci qu’elle a découvert sa passion ; en chargeant ensuite Sganarelle de retourner à Valère une cassette contenant un billet qu’elle refuserait de lire (alors qu’il ne lui a rien envoyé), elle informe le jeune homme de sa situation et de sa volonté de le rejoindre pour l’épouser ; c’est encore Sganarelle qui transmet à Valère l’idée de l’enlèvement puis qui amène les deux jeunes gens à se parler à mots couverts devant lui. Les péripéties de l’enlèvement occupent tout le dernier acte : c’est en fait une fuite, Isabelle, voilée, se faisant passer auprès de Sganarelle pour sa soeur Léonor, et c’est Sganarelle en personne, trop content d’imaginer son frère trompé par sa pupille, qui fait venir notaire et commissaire et oblige Ariste à signer, avant de signer lui-même, un acte dont il découvrira après coup qu’il rend Isabelle et Valère mari et femme.

La modernité est également de mise dans cette comédie, qui marque l’évolution de l’écriture de Molière, alors rentrée à la Cour. La justesse de certains personnages secondaires suffit à porter la comédie et éclaircit les relations entre les protagonistes. Les adresses au public sont nombreuses et lui permettent d’être attentif jusqu’au bout à cette dernière comédie.

La dernière réplique de ces heures moliéresques est représentative de son auteur et de ce que le metteur en scène a souhaité transmettre. Les farces sont reflets de la société dans laquelle elles ont été écrites et sont facilement adaptables aux problématiques, donc au théâtre, d’aujourd’hui. L’adresse au public est représentative de ce que Molière souhaitait faire passer par son écriture et de la complicité qu’il mettait en place avec ses comédiens et son public.

« Vous, si vous connaissez des maris loups-garous, Envoyez-les au moins à l'école chez nous. »

Les premières farces de Molière ont été écrites pour des troupes. Ce sont leurs racines. Ils étaient neuf comédiens, comme nous. Ils faisaient tout, et évidemment, les conditions d’accueil et de tournée les faisaient travailler sur un théâtre de tréteau. Les décors n’existaient pas, il y avait juste des accessoires pour jouer, une table, une chaise et puis voilà.
Ces textes sont le fondement de l’œuvre de Molière qui a eu une vie de tournée pendant treize ans, parcourant la France entière. Durant cette période, il est avant tout acteur et auteur au sens où l’on pouvait l’être à l’époque, c’est-à-dire plagiaire: il s’inspire de canevas de farces. C’est là qu’il trouve les définitions de son théâtre futur.
Christian Schiaretti

L’exercice est rare et impressionnant, le spectacle éminemment populaire, et les pièces accessibles à tous : ces quiproquos, ces histoires de barbons éternels cocus, ces rosseries, fous rires et claquements de portes constituent un hymne à la vie, à l’amour et au théâtre. Aucune concession n’est faite cependant, la plus grande rigueur préside sur la scène, éclairée comme à la bougie, avec les loges à vue où les comédiens se changent, de costumes du XVIIe de toute beauté, une diction qui fait la part belle à la langue…

Schiaretti sait ici conserver l'esprit de Molière tout en exploitant les tréteaux de manière brillante et efficace. Il dirige ses comédiens parfaitement, tout en leur laissant la liberté de rebondir sur les réactions du public et de s'amuser de ces farces.

Assister, dans un même mouvement, à ces sept comédies permet de prendre conscience de la récurrence de certains thèmes, d’entrer en intimité avec l’écriture et le jeu, d’en suivre l’évolution et de partager avec un groupe de comédiens des heures de complicités et d’échanges (néanmoins, journée peut-être trop longue d'une heure...). Un voyage dans la comédie humaine, hilarant et contemporain. Du Théâtre.

12 comédiens, 200 costumes, 66 perruques… 7 Farces et Comédies réussies.


Avec les jeunes comédiens de la troupe permanente du TNP : Laurence Besson, Olivier Borle, Jeanne Brouaye, Julien Gauthier, Damien Gouy, Aymeric Lecerf, David Mambouch, Clément Morinière, Jérôme Quintard, Juliette Rizoud, Julien Tiphaine, Clémentine Verdier ; mises en scène de Christian Schiaretti


Au fraîchement ouvert Petit Théâtre du TNP – Villeurbanne
Petit théâtre du TNP, les 10, 11, 17, 18, 24 avril 2010 à 14h00 - dates supplémentaires les dimanches 11 et 18 avril à 14h00
- entre 13 et 23€

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