dimanche 22 novembre 2009

JMG Le Clézio, loin de tout et au cœur d’un essentiel

JMG Le Clézio n’est pas de ces écrivains qui traînent leurs guêtres sur les plateaux de télévision ou dans les studios non moins aveuglants de la radio. JMG Le Clézio habite le monde mais pas Paris, pressentant déjà les dangers que pouvaient représenter les stucs de cette littérature qui ne parle que d'elle : « A Paris, je crois que j’aurais mis plus de temps à m’apercevoir de l’inutilité des mondanités et du gaspillage d’énergie qu’elles représentent » (Le Monde 2, 29 novembre 2008). L’avouant : « je me suis toujours senti étranger dans notre monde occidental. » (Télérama, 12 décembre 2000), il parle pourtant de nous. Où est-il ?

Jean-Marie Gustave Le Clézio naît à Nice en 1940, ses parents sont issus d’une famille bretonne émigrée à l’île Maurice au XVIIIe siècle. Il se considère lui-même de culture mauricienne et de langue française : « culturellement je me sens mauricien, c’est-à-dire entre deux mondes, le développé et le pauvre. » (Le Monde 2, 29 novembre 2008). Dès 23 ans, il acquiert la reconnaisance du mlieu littéraire grâce à son premier roman, Le Procès-verbal. Il écrit ce livre, la guerre d’Algérie n’est pas finie et plane sur les jeunes gens la menace de faire partie du contingent ; en même temps, règne en France un racisme anti-arabe : « Pour ma part, je crois qu’à compter de cette date j’ai cessé, dans ma tête ou pour de vrai, de vivre en France. » (Le Point, 26 janvier 2006). Son premier roman est couronné par le prix Renaudot en 1963.

La tentation ethnographique
Loin de l’Algérie, il effectue son service militaire au Mexique où il doit participer à l’organisation de la bibliothèque de l'Institut français d’Amérique latine (IFAL). C’est là qu’on lui parle du golfe de Darién, au Panama, un endroit étonnant, entièrement coupé de la civilisation occidentale ; il s’y rend, conduit par un Indien qui parle espagnol. Le Clézio est alors tenté par l’ethnologie, il avait rencontré plusieurs fois Lévi-Strauss. Il s’installe avec les Indiens, les Emberas, apprend leur langue, se conforme à leurs habitudes. Il vit avec eux durant quatre ans, de 1970 à 1974. A ce moment-là, l’écrivain n’éprouve plus le besoin d’écrire, « je ne voulais rien dire de tout ce que je vivais là, rien en tirer littérairement. Je voulais que ce soit une expérience d’avant le langage… Mais je suis un écrivain invétéré. Au bout de quelques temps, j’ai eu envie d’en sortir. » (Télérama, 12 décembre 2000).

En 1977, Le Clézio publie une traduction des Prophéties du Chilam Balam, ouvrage mythologique maya. Plus tard, dans les années 2000, son intérêt pour les cultures éloignées se focalise sur la Corée dont il étudie l’histoire, la mythologie et les rites chamaniques : « La culture occidentale est devenue trop monolithique (…) Toute la partie impénétrable de l’être humain est occultée au nom du rationalisme. C’est cette prise de conscience qui m’a poussé vers d’autres civilisations. » (Entretien avec JMG Le Clézio, diplomatie.gouv.fr)

Ainsi, si ses premiers romans l’avaient rapproché des recherches formalistes du Nouveau Roman, dès la fin des années 1960, ses publications, devenant plus personnelles, sont dominées par l’exploration de l’ailleurs et par les préoccupations écologiques (Terra Amata, Le Livre des fuites, La Guerre), et de plus en plus influencées par les voyages de l’auteur et son séjour chez les Indiens (Les Géants). Plus tard, dans les années 70, adoptant une écriture plus apaisée, les thèmes du voyage passe au premier plan (Désert).

Une oeuvre de contestation
La contestation est un caractère permanent de l’œuvre de Le Clézio. Après la dénonciation de la société urbaine et de sa brutalité dans les premières œuvres publiées, c’est une remise en cause plus générale du monde occidental qu’il élabore dans ses romans ultérieurs. Nourri par son expérience personnelle, Le Clézio dénonce ainsi la guerre cynique du monde mercantile (La Guerre), le scandale de l'exploitation des enfants (Hasard) et des cultures minoritaires. Cette révolte demeure sensible dans les romans plus populaires des années 1980 : haine de l’impérialisme colonial (Désert)... : « Nous vivons dans une époque troublée où nous sommes envahis par un chaos d’idées et d’images. Le rôle de la littérature aujourd’hui est peut-être de faire écho à ce chaos (…) Aujourd’hui, les écrivains ne peuvent que faire le constat de leur impuissance politique (…) La littérature contemporaine est une littérature du désespoir » (Entretien avec JMG Le Clézio, diplomatie.gouv.fr)




En octobre 2008, alors que paraît Ritournelle de la faim, son dernier roman inspiré par la figure de sa mère, il se voit décerner le prix Nobel de littérature en tant qu’« écrivain de nouveaux départs, de l’aventure poétique et de l’extase sensuelle, explorateur d’une humanité au-delà et en dessous de la civilisation régnante ».


Eloge de la langue française
JMG Le Clézio est donc loin de la littérature française que l’on voit à la télévision, il a vécu loin avec sa famille, aux Etats-Unis, au Mexique… « Pourtant, ce que j’aime par-dessus tout, c’est écrire ne me servant de la langue française. » (Le Point, 26 janvier 2006).
En mars 2007, dans Le Monde, il est l’un des quarante-quatre signataires du manifeste « Pour une littérature-monde en français », qui invite à la reconnaissance d’une littérature de langue française qui ne relèguerait plus les auteurs dits « francophones » dans les marges ; et à retrouver le romanesque du roman en réhabilitant la fiction grâce notamment à l'apport d'une jeune génération d'écrivains sortis de « l’ère du soupçon. ». Dans un entretien paru en 2001, Le Clézio déplorait déjà que « l’institution littéraire française, héritière de la pensée dite universelle des Encyclopédistes, [ait] toujours eu la fâcheuse tendance de marginaliser toute pensée de l’ailleurs en la qualifiant d'"exotique" ». Lui-même se définit d'ailleurs comme un écrivain « français, donc francophone », et envisage la littérature romanesque comme étant « un bon moyen de comprendre le monde actuel. »

En 2002, se tenait à Beyrouth le 9ème sommet de la Francophonie, voilà ce que JMG Le Clézio déclarait à cette occasion : « La francophonie – la réalité qui existe sous ce vilain mot - , c’est la chance inouïe pour la langue française de se maintenir dans le monde comme une langue universelle (…) des vérités proclamées en 1789, de la proclamation de l’égalité et de la liberté, du Décret de la Convention abolissant l’esclavage, de la suppression des privilèges et l’affirmation de la laïcité. Ce formidable courant qui a su enthousiasmer des peuples et des cultures très différents a permis à la langue et à la pensée française de survivre (…) au scandale de la colonisation. » (Le Figaro, 17 octobre 2002)

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