Avec Le Canard sauvage (1884), cinquième pièce du dramaturge Henrik Ibsen à laquelle il s'attelle, Stéphane Braunschweig, le directeur du théâtre de la Colline (Paris 20e), poursuit efficacement son job : donner chaire à des œuvres qui
dissèquent les âmes, les culpabilité des fils, les bassesse de pères ou la médiocrité des maris.
Photographe de son état et surtout pauvre bougre, Hjalmar vivote avec son épouse : tous deux emploient leurs soirées à compter et recompter les bouts de chandelle ; leur maison de bois est modeste -un intérieur ikea-, et leur fille Hedvig devrait perdre la vue... En outre, Hjalmar ne doit rien à lui-même mais à l'associé de son père, qui par ses largesses, tente de réparer des fautes anciennes. Même le métier d'Hjalmar est une usurpation : le candide n'a de "photographe" que le titre puisqu'il ne fait que retoucher les photos de son épouse, consacrant le reste de ses journées à rêvasser à son "invention". Cette « mission vitale » lui a été inoculée par un étonnant docteur qui soigne ses patients par l'illusion : le mensonge aide à vivre, estime ce praticien aussi doué à sonder les corps que les âmes.
Une écriture symbolique servie par la mise en scène
Photographe de son état et surtout pauvre bougre, Hjalmar vivote avec son épouse : tous deux emploient leurs soirées à compter et recompter les bouts de chandelle ; leur maison de bois est modeste -un intérieur ikea-, et leur fille Hedvig devrait perdre la vue... En outre, Hjalmar ne doit rien à lui-même mais à l'associé de son père, qui par ses largesses, tente de réparer des fautes anciennes. Même le métier d'Hjalmar est une usurpation : le candide n'a de "photographe" que le titre puisqu'il ne fait que retoucher les photos de son épouse, consacrant le reste de ses journées à rêvasser à son "invention". Cette « mission vitale » lui a été inoculée par un étonnant docteur qui soigne ses patients par l'illusion : le mensonge aide à vivre, estime ce praticien aussi doué à sonder les corps que les âmes.
A l'associé de son père et au docteur, une troisième bonne fée s'ajoute au-dessus du destin
d'Hjalmar : son ami Gregers s'apprête à le renseigner sur les tromperies sur lesquelles repose sa vie. Il est vrai que Hjalmar est à l'image de la pierre de
Spinoza : elle croit son mouvement libre alors qu'il est dû à une pichenette. De ces pousseurs de pierre -Sisyphes bien intentionnés- on ne sait en réalité lequel est le plus
démoniaque : Gregers, l'idéaliste qui n'a de cesse de traquer la
paille dans l'oeil d'autrui ? le cynique docteur, ce marchand d'illusion ? Gina l'épouse trompeuse ? ou le père de Gregers, profiteur des autres et de la
vie ?
Une écriture symbolique servie par la mise en scène
Ce patriarche omnipotent, Braunschweig le met en scène avec brio : projetée sur le rideau, la face géante du comédien ne fait qu'une bouchée de son fils. Hormis ce recours à
la vidéo, et le plancher penché qui illustre, physiquement, la
chute spirituelle du foyer, Braunschweig propose un Canard sauvage
d'une grande sobriété. Avançant masqué comme Ibsen, il dévoile la réalité par touches.
Ainsi de ce grenier, dont on parle tant chez Hjalmar et qui cacherait un canard sauvage. Poussées d'abord très furtivement, les portes y menant ne sont grandes ouvertes qu'à la fin de la pièce. Si dans la réalité, la "forêt" qui s'abrite dans ce grenier ne compte que quelques vieux sapins de Noël défraîchis, Braunschweig la présente telle que les personnages malades d'Ibsen l'imaginent : luxuriante. Elle serait comme l'Eden d'où Adam et Eve ont été chassés (pour l'avoir souillée) et dont ils ne cesseront de rêver. Elle est la maison de notre enfance, la Cerisaie de Tchekhov, le symbole mythifié et mystifiant d'un âge d'or révolu. L'on sait qu'elle nous décevrait si nous la retrouvions, aussi, très sagement, nous nous y promenons qu'en pensée, munis de nos œillères d'enfants, les paupières tout juste décillées.
Ainsi de ce grenier, dont on parle tant chez Hjalmar et qui cacherait un canard sauvage. Poussées d'abord très furtivement, les portes y menant ne sont grandes ouvertes qu'à la fin de la pièce. Si dans la réalité, la "forêt" qui s'abrite dans ce grenier ne compte que quelques vieux sapins de Noël défraîchis, Braunschweig la présente telle que les personnages malades d'Ibsen l'imaginent : luxuriante. Elle serait comme l'Eden d'où Adam et Eve ont été chassés (pour l'avoir souillée) et dont ils ne cesseront de rêver. Elle est la maison de notre enfance, la Cerisaie de Tchekhov, le symbole mythifié et mystifiant d'un âge d'or révolu. L'on sait qu'elle nous décevrait si nous la retrouvions, aussi, très sagement, nous nous y promenons qu'en pensée, munis de nos œillères d'enfants, les paupières tout juste décillées.
Quant au canard rescapé, il
illustre le mythe de la caverne de Platon : il est heureux dans
son grenier car il a oublié les étendues sauvages. Lequel, d'Adam ou du
canard, est le plus sage ? Il serait vain d'en conclure
-ces deux candides attitudes n'étant peut-être pas si opposées-,
aussi vain que de vouloir résumer la richesse d'une pièce
d'Ibsen. Tout en empêtrant ses personnages dans la matière -soucis d'argent, affaires judiciaires et beurre frais-, donc en les modelant avec la pâte de la complexité humaine (ainsi Hjalmar, tordant de rire par son flegme et sa sensualité : la douceur des tartines ont raison de son orgueil de mâle vexé), Ibsen
synthétise par quelques métaphores la vacuité, l'absurdité ou le tragique de leur vie.
Ajoutées à sa virtuosité de psychologue, son symbolisme étoffe le
discours de manière exponentielle. Et puisque Braunschweig exploite avec finesse ce
symbolisme, on n'aurait pas assez d'une
thèse pour analyser ce que ces deux-là nous narrent si bien.