samedi 11 juin 2011

Brassens, vie dithyrambique

Pour son anniversaire, 90 ans, ou pour celui de sa mort, 30 ans, Georges Brassens se voit offrir une belle exposition à la Cité de la musique : « Brassens ou la liberté ». Et l'on a confié à Joann Sfar et Clémentine Déroudille l’emballage de ce joli présent en forme de retour vers le passé. On compte alors sur le talent de conteur et la drôlerie de l’un, et l’on sait que l’autre, présidant à la collection « La Voix au chapitre » des éditions Textuel, ne sera pas en reste.


Il n’y aura pas de surprise, et rien de précieux non plus, beaucoup de chansons que l’on croit connaître déjà, des photographies en noir et blanc et des voix qui grésillent : uniquement l’histoire d’une vie et son harmonie. Mais il y a aussi dans l’immensité de l’exposition, des perles que l’on découvre entièrement. Ainsi en fut-il de l’émission « Les livres de ma vie » présentée par Michel Polac et qui recevait en 1967 Georges Brassens et son ami René Fallet, ils bavardent à propos de littérature, ce qu’ils ont lu et relisent et ce qu’il reste à lire aussi. Et c’est à ce moment-là que Georges Brassens, en même temps qu’il donne le remède au vertige littéraire, définit en creux l’amitié : « Il n’est pas question de tout lire, il est question de lire simplement ce que vos amis aiment ».



















Un peu plus loin, sur le parcours de l’exposition, on reconnaît sur une vidéo,
« l’échange sur l’engagement » qu’il y avait eu entre le libertaire Brassens et le communiste Ferrat en 1979 et dont on n’avait retenu qu’un dédain du premier pour la naïveté de l’autre. Il est enfin temps d’écouter l’entretien dans tout son long, de constater, en effet, l’opposition inexorable, et souvent inhérente à chacun, entre individu et action collective. Mais, surtout, d’entendre ce dialogue intelligent, d’entendre ces deux s’écouter, se comprendre et continuer à ne pas être d’accord.


















Alors, bien sûr, l’incompréhensible part critique ne peut s’empêcher de se dire que le succès d’une telle exposition est aussi le succès de la nostalgie. Et la mise en scène de l’exposition n’en fait pas l’économie, c’est ainsi qu’il nous faut décrocher de vieux téléphones pour entendre la voie de Brassens sur le jazz, les mots (gros ou interdits), les animaux... Mais, aussi, l’on se dit qu’ils sont si peu nombreux, aujourd’hui, ces moments où le discours de ceux qui parlent nous apaisent par leur intelligence.


"Brassens ou la liberté" jusqu'au 21 août 2011

Cité de la musique 221 avenue Jean Jaurès 75019 Paris



mercredi 1 juin 2011

Georges-Olivier Châteaureynaud : narguer le gouffre

L’écrivain palaisien (91) Georges-Olivier Châteaureynaud sort chez Grasset un roman sur l'enfance, les « terres périlleuses de l'adolescence », et la France des années 50/60. Enlevé et attendrissant.

Considérons-nous comme des passants, la vie serait notre rue, et en tant que passants, rien ne nous serait dû, de personne nous ne serions les obligés. Ainsi s’exprime en tous cas G.-O. Châteaureynaud, passant que la vie, de son réduit haut perché de la rue Boutard, des grilles des lycées qu'il n'a pas assez fréquentés ou des bords spumeux d'une mer caressant la pointe bretonne, suit. L'ayant regardé, lui et ses aïeux, elle peut nous en livrer le récit : un père revenu de camps qui embarqua la jeune Monette de Paris à Oran, une femme élevant seule son enfant dans la France de la crise du logement, des asphyxie au CO2, des Trente Glorieuses...

Peu à peu, au cours de cette biographie difficilement amorcée, suivie et subie, monte, plus haute et plus claire, au-dessus de celle d'un père égoïste, de copains poètes et d'un Michaux tant admiré, une voix, celle du passant justement, qui trace sa voie, originale et sienne : d'orphelin, il deviendra chenapan, de cancre, dévoreur de bouquins et écrivain, de fils à sa maman un petit-fils reconnaissant. Cette élévation sera aidée par quelques coups de pouce – une invitation à la lecture, un foyer chez des grands-parents, l'amour maternel-, permises par de salvatrices dialectiques.

Ce roman d'apprentissage, le nouvelliste G.-O Châteaureynaud l'écrit sans complaisance, démontrant que même si, parfois, la vie qui nous observe du fond du gouffre donne le vertige, les situations ne décident pas du sort de l'homme, à qui il revient d'ouvrir grands les fenêtres d'opportunités. Roman sartrien, La vie nous regarde passer est donc le récit de deux victoires, celle de Monette et celle de G.Olivier, lequel, par son rôle d'écrivain, avec la précision de sa plume et la richesse de son vocabulaire, fixe la mémoire des passants que la vie ne faisait que regarder et, ce faisant, les sort du gouffre dans lequel ils étaient happés.

La vie nous regarde passer, Georges-Olivier Châteaureynaud, éditions Grasset, 235 p. 18 euros.

« La fenêtre de notre chambre au 8e donnait sur un balcon de béton accroché au-dessus du puits noirâtre d'une cour encaissée, où l'on rangeait les poubelles. On n'accédait pas à ce balcon par une porte. C'était, en soi, assez étrange. L'architecte n'avait pas prévu. Il fallait escalader la fenêtre et sauter. […] J'en fis mon terrain de jeu aérien, souvent nauséabond tout de même, car des odeurs remontaient des profondeurs de l'immeuble par l'orifice d'une espèce de gouttière qu'obturait mal un gros bouchon de liège fissuré. » p. 45

« Il me fallait à présent me débarrasser de Michaux et de Borgès. Encombrant, Michaux ! Collant. On n'imagine pas comme il est difficile, si l'on s'en est barbouillé, de s'affranchir de sa rhétorique décontractée et de ses effets de profondeur bonne franquette. » p. 209

Pour en savoir plus sur G.-O. Châeaureynaud, lire Palaiseau Mag (journal de la Ville de Palaiseau) n°151.


 
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